Cours de philosophie : Le problème de la philosophie
Introduction
Nous pensons spontanément que l’individu existe indépendamment des autres. Nous
pensons même qu’il est en quelque sorte le principe et le but de la société, et que celle-ci doit
assurer la liberté des individus et les conditions de la réalisation de leur bonheur. Pourtant, il
n’en a pas toujours été ainsi : l’individu n’a pas toujours été pensé comme l’élément essentiel
de la société. Au contraire, dans toutes les sociétés traditionnelles l’individu n’a pas
d’importance, c’est la société qui prime. Ce n’est que la société moderne qui a permis
l’affirmation de l’individu (Durkheim).
Les rapports à autrui sont multiples : relations amoureuses, familiales, conflictuelles,
guerrières, professionnelles, religieuses, symboliques, politiques, concurrentielles, etc. Dans
chacune de ces relations, autrui m’apparaît sous un jour chaque fois complètement différent.
Pour s’orienter dans cette vaste multiplicité, un moyen commode est de regrouper ces rapports
en deux grandes catégories : les rapports conflictuels les rapports harmonieux. D’un côté, la
guerre, le conflit, la sujétion, la révolte, la concurrence, l’hostilité, la haine, la compétition,
l’injustice, la discorde ; de l’autre, la paix, la concorde, la symbiose, la complémentarité,
l’entente, l’échange, la justice, le commerce, la sympathie, l’amour.
I. Le problème de la connaissance
A. Le problème du solipsisme
1. Le solipsisme
Le solipsisme est un problème classique de la théorie de la connaissance. La théorie de la
connaissance (qu’on appelle aussi gnoséologie ou épistémologie) cherche à fonder
rationnellement la connaissance, c’est-à-dire à établir les bases sur lesquelles une véritable
connaissance peut reposer. La stratégie classique consiste à partir de l’individu, de sa
conscience (comme le fait Descartes) ou de ses sensations (comme le fait Husserl), puis de
construire logiquement le monde à partir de ces sensations. Par exemple, il faut montrer qu’il
est rationnel de supposer qu’il existe une « chose » au-delà de mes sensations qui les unifie et
les explique (ex : il existe une pomme qui est la cause de mes sensations de couleur, de
fermeté et de saveur).
Une telle tentative de fonder la connaissance se heurte à l’objection suivante : et s’il n’y
avait rien du tout derrière mes sensations ? Et si le monde n’était rien d’autre que ma
représentation, que mon rêve ? Rien, au fond, ne me prouve que le monde existe bien
indépendamment de moi-même. Dans ce cas, aucune chose n’existerait, et autrui pas plus que
le reste. Par conséquent je n’aurais aucun devoir moral envers autrui. Le problème théorique
se redouble d’un problème éthique. Une telle hypothèse, selon laquelle moi seul existe, est
désignée par le nom de solipsisme (du latin solus, seul, et ipse, soi-même).
2. Autrui ne m’apparaît pas directement (Pascal)
Dans ce problème gnoséologique, le cas d’autrui est encore plus délicat que le cas des
choses. En effet, alors que les choses nous apparaissent en tant que telles, les êtres humains
nous demeurent cachés, car nous n’avons jamais directement accès à eux, à leur intériorité, à
leur conscience.
Qu’est-ce que le moi ?
Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire
qu’il s’est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier. Mais celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la
beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus.
Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on, moi ? Non, car je
puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le
corps, ni dans l’âme ? et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités, qui ne
sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables ? car aimerait-on la substance de
l’âme d’une personne abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et
serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.
Qu’on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices,
car on n’aime personne que pour des qualités empruntées.
Blaise Pascal, Pensées, 1670, § 323
La suite à la prochaine publication
Content created and supplied by: versus-01 (via Opera News )
COMMENTAIRES